Le bonheur venait de la réalisation de ces petites choses de mon été 1977, le malheur sera de vivre
J'étais si heureux de mon été 1977, que j'avais hâte maintenant, d'aller accompagner mon père à la chasse à la perdrix. Le meilleur chasseur de la famille, était ma petite chienne Amga, une experte pour lever la perdrix. C'était secrètement dans ma tête une activité père-fils, que j'appréciais énormément. Le calme des bois, les odeurs et les couleurs d'automne, le bruit de nos pas dans les feuilles sèches. Des moments avec papa, justes pour moi, qui me faisait me sentir bien. J'étais tellement impatient en l'attente de l'ouverture de la chasse, que j'en parlais tous les jours.
Nous somme fin août, la chasse ouvre officiellement à la mi-septembre. Alors que je suis sur le quai à faire un toilettage à la belle Amga, mon père vient m'y rejoindre, «j'aimerais que tu restes avec ta mère plutôt que venir à la chasse. Ta mère apprécierait ta compagnie pour l'aider dans ses bricolages pour sa classe d'automne, tu aimeras ça. » Je n'ai pas eu le temps de protesté, il était déjà debout et il s'éloignait.
J'ai continué de brosser le chien mais je ne pouvais pas empêcher mes larmes de coulées. Je m'en suis plaint à ma mère. « la relation père-fille, me dit-elle, est une relation particulière, c'est un amour très fort que tu as avec ton père. Tu es devenu une grande fille maintenant. Il est normal pour ton père de s'éloigner de ce lien entre vous, il va continuer de t'aimer. Toi maintenant tu dois te préparer à être une femme. » Oui je voyais où elle voulait en venir. Je pétitionne en disant « qu'est-ce qu'il y a de mal de me promener dans les bois avec papa? » « c'est plus naturel les filles avec les filles, les garçons avec les garçons. Ton père et moi trouvons que la chasse n'est plus une bonne activité pour toi. » Voilà on venait de me reclasser dans la case binaire du grand F majuscule.
J'étais chambardé après cette conversation avec ma mère, je n'étais pas d'accord avec le principe de société qui cassait les clans fille-fille, garçon-garçon. J'aimais la compagnie des garçons, c'est auprès d'eux que je me retrouve dans mon identité. Je ne me sens pas naturel en meeting de filles. J'étais encore dans le deuil de mes préférences identitaires.
C'est à partir de ce moment, que je me suis mis à faire ce rêve qui rappliquait presque chaque nuit. La version de ce rêve changeait, mais le principe demeurait le même: j'enlevais le pénis d'un homme pendant son sommeil et je me le greffais, ainsi dans mon rêve, je pouvais mener ma vie d'homme sans problème.
J'ai parlé de ce rêve dans mon suivi psy post-transition. Voilà sa réponse: C'est une étape importante dans ta sexualité de femme. L’envie du pénis naît de la découverte de la différence anatomique des sexes : petite fille, tu t'es sentis lésée par rapport au garçon et tu désirais toi aussi posséder un pénis ; puis cette envie du pénis prend plus tard une autre signification pour toi : l'envie d'enfanter et l'envie de jouir du pénis dans le coït. C'est le processus que suivent toutes les filles vers la féminité.
Là on est dans la boue jusqu'au cou. Bien entendu, étant plus que convaincu d'être de sexe masculin, je désirais le pénis que la nature avait oublié de me donner. Pour l'enfantement je passe mon tour, c'était aussi chimérique d'être enceinte que d'être femme. Le désir de la jouissance par le pénis était aussi absurde, que la pénétration m'était douloureuse émotionnellement. De plus j'aimais les femmes.
Revenons à nos moutons. Quand mon père est revenu de sa première tournée de chasse, je me suis faits le défenseur de la cruauté envers les animaux: « tu es cruel papa, nous n'avons pas besoin de tuer des animaux pour nous nourrir. » « c'est nouveau ça, il y a à peine un an tu aimais la chasse. » « je sais, maintenant je pense autrement, je trouve cela sans fondement la chasse. » Je crois que mon père avait compris le sentiment qui se cachait derrière mon discours. Je l'ai vu dans sa façon de me regarder.
Aujourd'hui si j'analyse ma crise de militance contre la cruauté envers les animaux. C'était bien évidemment, ma façon de lancer un message, sur mon ressenti de vivre cette dure privation d'être avec mon père, dans une activité père-fils. Je voulais punir mon père pour cette offense. Je n'en démordais pas, je me sentais seul oiseau en cage et ma liberté d'expression d'identité était privé de liberté.
extrait de mon journal personnel 1977.
Salutation!